Dalaï-Lama
Sa Sainteté le 14ème Dalaï Lama (Photo © Manuel Bauer)

L’imparfait maître spirituel sans défaut, par Sa Sainteté le 14ème Dalaï-Lama

L’imparfait maître spirituel sans défaut, par Sa Sainteté le 14ème Dalaï-Lama

Le besoin de clarifier certaines instructions concernant la relation enseignant-disciple sur la voie bouddhiste semble avoir émergé. Au moment où il y a des accusations crédibles que certains maîtres bouddhistes tibétains du vajrayana se livrent à des abus de pouvoir et exploitent des étudiants de façon sexuelle, émotionnelle, spirituelle ou financière afin de satisfaire leurs propres besoins, il peut être utile de lire les différentes explications du Dalai Lama au sujet de la relation enseignant-disciple afin de trouver des pistes, des orientations ou de l’inspiration sur la façon de gérer de telles situations de façon raisonnable.

Extrait du chapitre intitulé : Comportement inhabituel

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Sa Sainteté le 14ème Dalaï Lama (Photo © Manuel Bauer)

Certains textes donnent des instructions telles que « Considérez toutes les actions de votre maître spirituel comme étant parfaites » et « Suivez très exactement les instructions de votre maître avec un dévouement complet. » Ces instructions sont données dans le contexte du tantra yoga le plus élevé et s’appliquent à des cas exceptionnels, dans lesquels aussi bien le maître spirituel que le disciple sont hautement qualifiés.

Tilopa et son disciple Naropa par exemple, ainsi que Marpa et son disciple Milarépa. Si vous n’avez pas le calibre de Naropa et que votre mentor n’a pas les qualités de Tilopa, ces instructions peuvent être extrêmement trompeuses. En entendant les histoires de Tilopa, qui semble traiter Naropa de manière abusive – l’instruisant de sauter d’une falaise et ainsi de suite – et les instructions de Marpa à Milarépa de construire des édifices puis de les détruire, certaines personnes pourraient se dire que suivre les instructions de leur maître inclurait  également de se laisser abuser. Ce n’est absolument pas le cas ! Marpa a dit à Milarépa, « Ne traite jamais tes étudiant de la manière dont je t’ai traité ou comme le grand Naropa m’a traité. Une telle pratique ne devrait pas se poursuivre dans le futur. » C’est parce qu’il est extrêmement rare de trouver un maître et un disciple qui auraient tous deux des réalisations comparables à celles de ces grands maîtres.

J’ai eu de nombreux maîtres pour lesquels j’ai une grande estime, mais je ne peux pas accepter de considérer toutes leurs actions comme étant parfaites. Dans mon adolescence, mes deux régents luttaient entre eux pour le pouvoir, l’armée tibétaine s’est même trouvée impliquée dans ces événements. Lorsque j’étais sur mon coussin de méditation, je sentais que mes deux maîtres étaient extrêmement bons et j’avais un profond respect pour eux ; leurs querelles n’avaient aucune importance. Mais lorsque je devais gérer les difficultés causées par leurs discordes je leur disais, « Ce que vous faites est mal ! ». Mes paroles ne reposaient pas sur la haine ou le manque de respect, mais sur l’amour du Bouddhadharma et leurs actions allaient à l’encontre de celui-ci. Je ne ressentais aucun conflit de loyauté en agissant de cette manière. Au sein de notre pratique, nous pouvons considérer la conduite du maître comme celle d’un mahasiddha, mais dans le monde conventionnel nous suivons l’approche bouddhiste générale, et si un certain comportement est nocif, nous devons le dénoncer.

Le conseil de considérer que toutes les actions du maître sont parfaites n’est pas destiné aux disciples ordinaires, étant donné que cela peut laisser la porte ouverte à des malentendus. Cela peut facilement devenir un poison aussi bien pour les maîtres que pour les disciples. Les disciples blanchissent naïvement les comportements déplacés d’un maître en se disant que quoi que celui-ci fasse, cela doit être juste. Cela donne à certains enseignants carte blanche pour mal se comporter. En ce qui concerne le maître, un comportement contestable équivaut à boire le métal liquide brûlant des enfers et contribue à la dégénération du Dharma dans le monde. C’est uniquement dans des situations particulières et avec des disciples particuliers qu’il devrait être enseigné que toutes les actions du maître spirituel sont parfaites. Le bouddhisme est basé sur le raisonnement et la sagesse et c’est ainsi qu’il devrait rester.

Étant donné que je donne souvent des enseignements sur le Dharma, de nombreuses personnes placent une grande foi en moi. Mais pendant de nombreuses années j’ai également été leur leader séculier. S’ils avaient considéré chacune de mes actions comme étant parfaites, cela aurait eu un effet défavorable sur l’administration. Il était extrêmement important qu’ils partagent leurs informations et leurs idées avec moi, au lieu de simplement acquiescer avec respect à tout ce que je disais.

Si vous avez pris quelqu’un en tant que maître spirituel et que vous découvrez qu’il a un comportement douteux, vous pouvez cesser d’assister à ses enseignements. Évitez le manque de respect ou l’antipathie ; la colère n’aura d’autre effet que de vous rendre misérable. Le Tantra de Kalachakra conseille de garder une attitude neutre et d’arrêter toute relation. Gardez vos distances et cultivez une relation avec d’autres maîtres, mais n’accusez pas cette personne avec colère. Il vous a été bénéfique par le passé et il est approprié de reconnaître ceci et de l’apprécier même si vous ne le suivez plus maintenant …

Extrait du chapitre intitulé : Résoudre les problèmes

Lors d’une conférence avec des enseignants bouddhistes occidentaux à Dharamsala en 1993, ceux-ci m’ont fait part de problèmes avec certains maîtres spirituels dont le comportement vis-à-vis de l’argent, des relations sexuelles, etc. perturbait profondément les gens et donnait une mauvaise image du bouddhisme. Je leur ai dit que ces « maîtres » ne suivaient pas les enseignements du Bouddha. Je les ai encouragés à parler ouvertement avec ces enseignants et que si ceux-ci ne les écoutaient pas, ils devraient dénoncer leur comportement publiquement. Même si ces maîtres n’accordent que peu d’importance aux enseignements du Bouddha, peut-être accorderont-il de l’importance à leur réputation et changeront d’attitude. Certains m’ont demandé de leur parler directement, mais cela n’aurait pas beaucoup d’effet. S’ils n’écoutent pas quand je donne des enseignements et s’ils ne respectent pas les enseignements du Bouddha, ils ne vont pas m’écouter si je leur donne un conseil personnel.

Vous pouvez vous demander comment faire si l’un de vos amis est disciple d’un enseignant à la conduite éthique douteuse. Les enseignements tantriques parlent du karma destructeur créé en séparant un mentor et un disciple, mais malgré tout vous souhaitez protéger votre ami. Si vous voyez que la relation de votre ami avec un maître est définitivement dommageable, il est approprié de le ou la prévenir, simplement en relatant les faits d’une manière neutre. Mais si la relation n’est pas dommageable, il vaut mieux laisser les choses telles quelles. La motivation est à la base de la création d’un karma négatif ou non dans la séparation d’un disciple de son maître spirituel. Il faut absolument éviter les actions motivées par une attitude colérique et catégorique, alors que les actions basées sur la compassion et la tolérance devraient être encouragées.

Extrait du chapitre intitulé : Conseil aux mentors spirituels et aux disciples

Il y a des années, j’ai entendu parler d’un abbé du Kham, au Tibet. Des visiteurs étaient venus le voir mais il était absent et son assistant leur a dit, « Il est allé effrayer les habitant de la ville proche. » Il semble que ce lama disait aux gens qu’ils iraient en enfer s’ils n’observaient pas ses instructions. Ce n’est pas l’approche bouddhiste.

Je voudrais parler franchement aux mentors spirituels et aux étudiants du Dharma. De 2012 à 2015 j’ai enseigné les dix-huit textes du lamrim. Certains de ces textes mettent l’accent sur le fait que le maître spirituel est Vajradhara et que si vous n’écoutez pas les instructions de votre maître, vous allez renaître dans les états d’existence des enfers. De quoi s’agit-il ? Le Bouddha n’a jamais dit que si vous n’écoutez pas ses enseignements et ne faites pas ce qu’il dit, vous allez renaître en enfer ! Le bouddha a dit que nous ne devrions jamais accepter les enseignements avec une foi aveugle, mais en les étudiant et en les analysant. Voilà la véritable manière de suivre les enseignements du Bouddha.

Si une chose ne supporte pas le poids du raisonnement, nous ne devrions pas l’accepter à moins qu’elle ne puisse légitimement être interprétée d’une autre manière. C’est pour cette raison que même certains maîtres de Nalanda rejetaient des passages des soutras. Après examen, je n’ai pas suivi la cosmologie traditionnelle plaçant le Mont Mérou au centre. Lorsque j’ai dit ça, durant des enseignements en Inde du sud, certains moines se sont initialement sentis inconfortables. Comment le Dalaï-Lama peut-il rejeter le Mont Mérou ? Mais personne ne pouvait dire que je n’étais plus un bon bouddhiste parce que j’étais en désaccord avec Vasubandhu sur ce sujet. Avoir la liberté d’analyser les enseignements est un joyau extraordinaire, c’est une qualité spéciale du bouddhisme que le Bouddha lui-même a encouragé.

Colophon : Extrait de The Foundation of Buddhist Practice, The Library of Wisdom and Compassion, volume 2, 2018, Sa Sainteté Dalaï-Lama et la Vén. Thubten Chodron, p. 123-126 & p. 127-128. Traduit de l’anglais au français par Virginie Lehdonvalo et la Vén. Lobsang Détchèn des Éditions Mahayana, juin 2019. Merci à la Vén. Thubten Chodron pour son aimable autorisation.


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